Le Gardien aux Yeux de Brume et le Dragon Skaelu

Il fut un temps où Eylmir, alors jeune esprit errant du Nord, n’était pas un gardien, mais un semeur de colère. Né au cœur d’un hiver sans fin, abandonné par les siens, il avait appris à survivre en mordant avant d’être mordu. Sa colère brûlait tout sur son passage — ses paroles, ses gestes, ses liens. Il blessait plus vite qu’il n’aimait. La rage était son seul langage.

 

Un jour, dans un excès de fureur, il provoqua un désastre qui fit pleurer les montagnes. Il perdit ce qui lui restait de famille et, dans un élan de désespoir, il grimpa jusqu’au sommet d’un tertre sacré, où les Anciens Esprits veillaient. Là, il ne demanda pas le pardon, mais la transformation.

Les esprits, touchés par cette volonté sincère de changer, lui proposèrent un pacte ancien :

“Tu perdras la vue des choses, mais tu gagneras celle des âmes. Ton œil verra la colère comme une lumière vive et sera pur comme le givre. Et si un jour tu laisses à nouveau la rage te gouverner, c’est ton cœur qui brûlera.”

Ainsi naquit l’œil transparent, cristallin comme une goutte d’eau figée. Et ainsi disparut la vue d’Eylmir. Mais en échange, il reçut le don rare de sentir les émotions comme des vents : la rage comme un ouragan rouge, la paix comme une brume tiède. Il ne serait plus jamais aveuglé par ses propres passions.

 

Depuis ce jour, il aide les âme emplis de colère accompagné de son seul compagnon : le dragon Skaelur, né de la première colère du monde mais adouci par le temps.

Chaque jour, lorsque les émotions deviennent trop lourdes, l’œil transparent capte les tourments qui l’entourent. Quand ils deviennent trop forts, l’œil vire au rouge profond. Alors Eylmir dirige cette colère vers son chaudron sacré, Raukeld, forgé dans la lave par les Nains de la Lune.

Skaelur, au souffle millénaire, veille. Il embrase le chaudron sans jamais le briser, le portant à ébullition. Puis, avec une grâce ancienne, il souffle le contenu vers les cieux. Le vent chaud ainsi né parcourt les contrées, effleure les âmes en peine, et réchauffe les cœurs éteints.

Les murmures disent...

 

Que ceux qui dorment la nuit en pleurant sentent parfois une brise étrange passer, comme un souffle chaud au creux du cou. On dit alors : "Le gardien veille."

 Et les enfants apprennent que même la pire des colères peut être transformée… si l'on a le courage de ne plus fuir ce qu’on est.

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